! nouveau !

cliquez sur la couverture pour feuilleter

 

Le Salut invérifiable d'un Idiot souterrain

 
Le Rien Quotidien est aujourd’hui le nom d’une association.
 
Les textes publiés ici sont de son fondateur.
Afin d’éviter toute confusion,  il souhaite maintenant apparaître dans evazine sous le nom de
« LE SALUT INVÉRIFIABLE D'UN IDIOT SOUTERRAIN »
Le voici exaucé !

 

 

 

auto-préface ou le dit de l'œil-main

   Ce ne fut pas un divertissement.
            Les villes mouraient. Il n’était plus possible de fuir & malaisé de se rendre insaisissables : comment s’écarquiller, & à quoi bon ? L’ancien monde s’en était allé, avec son héritage. Aux abords disponibles, dormant peu & n’attendant pas de délivrance, ils purent saisir quelques prodiges ténus, comme la beauté des sommets où règnent les vents sans égards. Ils cherchèrent à se mêler en suspend à la vaste chimie cosmique, alignements & enchaînements, connexions, espérant vaguement savoir à qui profitaient les crimes. Où perdre tous ces gestes, & de qui se venger ? Ces bêtes étaient-elles si singulières, qu’aucune manière de vivre ne leur convienne tout à fait ? Comment choisir entre les vertiges tranquilles & les exigences d’un monde promis ? Quels mots fallait-il étreindre ?
            Mais ces vies deviennent invérifiables : cette épiphanie peut-elle devenir commune ?

 

 

 

 

oOoOo

 

MONTAGNITÉ

 

 
ill. jlmi

 

-1-

 

        L’étoilement est infini, c’est-à-dire dans tous les sens : les solitudes ne font pas un peuple, & mendier des fatigues n’a jamais été suffisant. Les beaux aguets dénouent cette plainte.

-2-

 

        Chaque parole s’étend & dure tant qu’elle peut, sans que rien ne soit à regretter ; c’est parfois une vue. Quiconque s’en sera réjoui disparaîtra tout de même, comme elle, & bien que là il n’y ait plus de peines, ce qui n’est pas n’est pas. Chaque halte n’offre qu’un repos provisoire, & devient toujours assez vite le lieu de départs neufs. & s’il y a une halte définitive elle n’est que la décomposition de nous-mêmes, & ce n’est pas vraiment le repos. Ce que ce feu là a recroquevillé ne paraîtra plus. Tout est tissé de cette brume, & cependant la mort n’est rien. Qui d’autre naîtra de cette intuition ? Déjà de nouveaux usages s’éveillent, des foudres & des éclaircies, d’autres matins clairs, d’autres sécheresses, & le milieu du pont au milieu des fantômes. Les cendres des mots n’empêcheront pas d’autres éclosions : Elle s’en passe le plus souvent. & chaque grand corps La connaît pourtant, parée d’exactitude, & s’emmitoufle de silence. Cette étendue est une nudité sans horizon, & les départs ne prouvent pas grand-chose.

-3-

        Quelle est cette humanité entrevue ? L’oreille lointaine d’un voyage, la vie plane dans la paix retirée & le rythme, la chimie, le beau soleil au-dessus des charniers. L’étendue ouverte & plane succède à l’étendue ouverte & plane – les pèlerins s’y font rares – chaque façon de porter une boisson à ses lèvres est singulière : partout le grand corps est vivant, disposé, disponible. & il n’y a rien au-delà de ce promontoire, car personne ne domestique le vent. Les fatigues succèdent aux fatigues, les siècles recouvrent les siècles, & tout se transforme. L’aube aimable ne dissout pas ces fatigues, mais l’été est blotti contre l’étoile, lieu parmi d’autres d’une fécondité. Le ventre de l’atmosphère accueille tous les pollens, les terres tous les ossements – les franges de l’éveil, les chairs & les distances justes des corps qui s’attirent. Dix mille soleils nous émeuvent & vrombissent, un chant se disloque à tout moment, le long du bruit indémontrable sensationnel & suffisant : la transformation n’est jamais interrompue. C’est aussi un lieu sévère où la parole n’est pas décisive. Les arbres connaissent ces sobriétés, & l’acquiescement aux vents secs.

-4-

 

        Elle n’est pas une instance qui octroie, mais la masse émue & céleste d’un grand corps ; l’infini est la grandeur de la matière, n’est-ce pas ? Nous n’habitons pas parmi La Terre, nous en sommes une expression, & ce qui est exprimé n’existe pas en dehors de ce qui s’exprime, secoué sans heurt d’un grand rire. Qu’est devenue cette humanité que les fleuves disséminaient, & ses vues, & ses gestes emplis d’échos ? Les mondes poreux ! L’étendue est vivante, la pensée est vivante, lumière modeste & solitaire & vivante, où souffle le grand vent calme.

-5-

 

        Le cœur frais de cendres, ici, nuit de pierre & jour avoué : qu’est-ce qu’un promontoire parmi l’obscurité physique ? Rien qu’un promontoire parmi dix mille autres – effluves que le vent ignore & disperse. La lumière matérielle coule & file de lisière en lisière, sans fin, sans origine : il y a un temps pour chaque plainte, & l’éternité pour se réjouir – élan de la graine au fruit, dont chaque fleur porte aussi l’intuition : le sanglot d’un papillon ivre n’est plus qu’une rumeur parmi d’autres.

 

-6-

 

        Rien n’est vrai : tout est réel. Chaque reflet est également impliqué par l’infini sans double. Les figures se consument sous la voûte, qui n’en est pas une mais l’affirmation sans borne. Quelle pitié pour le bétail humain ? Les montagnes ne tombent pas. Cependant le mot ruisseau ne dévale aucune pente, la brume est dix mille gouttes. Les fatigues se lavent à la fraîcheur d’une humanité plus discrète.

-7-

 

        La gravité ne dissout pas le désespoir, les pentes ne cessent pas de jaillir. Ici pourtant rien ne meurt, mais les montagnes de pluie & de ciel. Lumière les pierres ! Lumière chaque racine, chaque feuille ! Lumière l’eau que la pente enlace ! Partout : la clarté. Oui ! Le grand corps se creuse, où l’intuition s’épanche : voici l’à-propos du lieu adéquat & du moment singulier, ni perdus ni trouvés – étreinte, alignements ! & les amitiés rares & belles, un creuset où l’étoile exhale les brumes & les odeurs ! La lumière en crue ondule doucement dans les fibres, éminente, utile…mais tout est calme près des fleuves enflés, malgré le marasme de l’affectivité humaine, pénible autant que sombre. Les misères n’ont jamais fait un peuple.

-8-

 

        L’autre état est sans postérité.

 

 

 

ill. jlmi

 

 

mis en ligne en mars 2012

oOoOoOo

 

 

Extraits du Sens de l'occasion*

la présentation virtuelle proposée  ici

tente de rendre l'impression 3-D ressenti à la lecture de ce codex

véritable ''porte aux dix mille serrures'' **

 

''L'ordre et la connexion des idées est le même que l'ordre et la connexion des choses.'' Spinoza l'Éthique Livre II (1677) 

 

PRÉDILECTION

 

Ce ne fut pas un divertissement. Les villes mouraient. Il n’était plus possible de fuir & malaisé de se rendre insaisissables : comment s’écarquiller, & à quoi bon ? L’ancien monde s’en était allé, avec son héritage. Aux abords disponibles, dormant peu & n’attendant pas de délivrance, espérant vaguement savoir à qui profitaient les crimes : où perdre tous ces gestes, & de qui se venger ? Ces bêtes étaient-elles si singulières qu’aucune manière de vivre ne leur convienne tout à fait ? Quels mots fallait-il étreindre ? Mais chaque vie est invérifiable – quelques ténuités pleines de prodiges, les vents sans égards. Il faut donc chanter sans rien vouloir prouver – fenêtres & recueillements, La Terre partout vivante.

 Quelque chose s’éveille alors aux confins des moments de jachère, & le désir est sans époque. & quand l’immense vague de lumière se retire, déposant des satisfactions & quelques attentes, l’étreinte immédiate est plus exaltante que la permanence illusoire d’un été. Le grand vent calme exulte & gémit, & bien sûr l’élan de perdition des ponts, les lieux de perdition penchés, le drôle d’élan des ponts, le drôle d’élan des grues & l’eau organisée partout, les ombres changées par la nuit, l’effort indispensable & impitoyable, une frénésie sèche, sévère, les nuits de caillou, & les férocités qu’il faut connaître : ce n’est pas égal. Un mouvement est accompli sans changement, un changement est accompli sans mouvement, & cela ne dit rien. La nuit est épaisse & liquide, odeurs & distances intimes & mêlées, ferveur sans futur & sans histoire, ces étendues profondes jamais verticales, & aucun feu n’est approximatif. Puis les oiseaux pétrissent le matin, dans la délicatesse des bonnes distances que rien ne décrète. Nous sommes d’étranges bêtes, & nous passerons aussi, parmi les peuples qui s’assemblent & les migrations énormes. Cette béatitude en vaut bien d’autres. Malgré tout il faut trouver un lieu où connaître la vie sans contour : quelle est cette prédilection ? Une parole qu’une onde effleure, car Elle est le pilier autour duquel danser, s’ébattre & s’effacer, & ce juste souci qui bondit pour éviter. Il me dispense d’être utile.

 

 

* ce codex a été imprimé au mois d'août 2011 au 103, à Grenoble
à 107 exemplaires
à l'instigation d'Emma Chaos

** ce terme dix mille est vient de l'expression chinoise utilisée pour signifier une quantité quasi infini

 
 
 
 
 
 
 
 
oOoOo

Extraits de Querencias *

 

CE QUI CHUCHOTE

   

 

        

La voûte dans nos cœurs, où une chaleur s’avance ! Voici le lieu juste & quelconque : personne ne vous précèdera jamais jusqu’au bord de la nuit claire. Voici le frisson de La Terre élevé qui s’efforce de pénétrer chacune de ces nuits, la fêlure intime & vérifiée, la clarté mêlée, voici l’étoile tremblante & les heures fréquentables où l’océan lave le vent. La lune est intacte, la lune monte, voici le cercle dont le centre est partout, voici le bleu fendu & la prémisse articulée, le repos le long des nerfs & la pointe effilée des morsures. C’est l’exactitude d’une lenteur particulière, la tension souple & l’hiver écorché, car voici le grand corps dans la lumière selon. Voici la douceur de l’herbe que les vents nourrissent, ce qui s’élève à la halte des bêtes, l’os & la grande chimie, Ses étendues verdoyantes & belles, voici ce qui chuchote dans les os creusés…

 

 

 

 

LE CONTINENT DE SOMMEIL

   

 

         Troubles, lames qui déchirent & séparent l’épaisseur presque absente de l’air, continent couvert de ciment mouillé, continent des maisons modestes & des asiles, & les arbres y dévorent tranquillement la lumière, comme partout, ce continent où tant d’enthousiasmes furent inventés – le soleil frisant partout, sur les ruines comme sur les routes d’asphalte & d’huiles, l’épaisseur des huiles suintant des métaux compressés, sur toutes sortes d’enfances & des hymnes, soleil parmi ce même malheur – jugements innombrables – les dents qui crissent sur l’architecture subtile des prisons, les processions, les soumissions, les défilés & les luttes – la guerre permanente qu’il faut continuer par tous les moyens, les rues qui servent la distraction des choses prochaines – les grands discours de l’angoisse, les humiliations communes & le goût de veiller qui s’acquière jeune – mâchonner l’insomnie – les nerfs au phosphore, les veines barbelées & le sang plein de lames, les mythes de mille tonnes – c’est le système des grandes fatigues – les vies congestionnées qui ne font rien voir, les existences essorées pour lesquelles l’exactitude ne peut pas suffire, & le fleuve où ces deux là ont jeté si jeunes leurs crachats brûlants & tant de bouteilles vidées – le fleuve n’a rien retenu – lueurs qui déclinent malgré la matérialité scintillante & velue, l’espoir d’un grand éveil contagieux, le festin, l’os des images ou les rues, édifices de mots & les champs d’os brisés & les reculs répétés défont la trame des êtres les plus rares, aux plis difficiles & chiffonnés, qui ont connu les torsions de ces rues & qui ont vu les fins, écho qui se croyait victoire – solitudes qui inclinent aux hébétudes lointaines, désordres chimiques & pourritures, prenant conseil d’un immense silence – gémissements sous les toits – mais la beauté est indécidable, & tous les étonnements dont le vide est la condition : les climats de ce crépuscule sont introuvables.

 

         […]

 

Les grands récits sont équivoques – ce qui semble réel contre ce qui est possible – où se fabrique & d’où se colporte la parole multiple du salut, malgré les vies immenses & imperceptibles agrandies jusqu’aux étoiles, & le fracas des peuples inconnus – cette ambigüité des existences contemplatives qui voudraient fuir les ambiguïtés terrestres, les yeux mangés aux oiseaux sur l’arbre indifférent, éclaboussés de soleils tournants & se comportant selon le vent – le futur de cendre des yeux qui sèchent, clignotement des mouches, les années de dressage qui font les automates, & les années d’une étrange guerre pour entrevoir seulement les nudités quelconques – les épilepsies brûlées d’insecte, la porosité des règnes & les déterminations étranges, l’impudence des enthousiasmes décrétés, qu’il faut subir & leurs retours automatiques parmi les débris du renoncement – les hiérarchies ne sont pas une consolation – l’avant goût d’une extinction qui passe, ombres épousées & cuites : qu’est-ce que le désir complexe d’une humanité rudimentaire ?

 

         […]

 

Chaque exil apporte sa part de tumulte. Rues mille fois conquises & perdues, joies de pierre, nuit du métal tordu & de l’électricité, l’hébétude d’une peste immense & les cadavres de chiens gonflés de poison, le continent des fleuves, du verre brisé & des rats, d’une bonne nouvelle – chacun des étourdissements qu’il a fallu franchir, les visages fendus tordus d’étonnement sauvage – les noms grattés sur les pierres, la malpropreté définitive, conforts personnels de la plainte savoureuse & les chères amertumes, la grande claudication des rues & les relents menstruels & le sperme tus, mais les humiliations ont empoisonné les modesties utiles & les ciels renversés des chimies ne sont pas plus probants – des faims innombrables parcourent le continent – alentours désaffectés, le tranchant des sécheresses, figures, les opinions & leurs effets – les nœuds coulants, la bouche d’ombre ou une étoile éclaboussant la terre de sang & d’eau – & le matérialisme n’a pas convaincu, & les intimités sont mortes du saisissement des étrangetés, lueurs rouges des émeutes & faces en friche – des armées sont en marche – les courages inédits & l’énorme profit des réconforts, tous les projets de futurs magnifiques, les emphases subjectives contre le travail du miracle, malgré la menace indiscernable, les agitations de chaque oubli, l’entaille de l’est, immense, la grande aube à l’étendard inconnu : nous sommes le continent !

 

         […]

 

         Parfois rien ne bouge. La menace est immobile. Les creux qui peuplent tout sont palpables & denses, redoutés. Le soleil devient écœurant ; la pluie, au moins, vide un peu les rues – c’est un ventre automatique. Car l’angle de la réalité n’est jamais définitif. Les fenêtres capturent des choses, visages d’eau froissée ou une crue proche – monde renversant des arbres secoués – la magie morale n’est d’aucun secours. C’est le supplice recommencé de la goutte répétitive, la dissolution sans fin d’un impact qu’il faudrait croire décisif, les yeux poisseux & la lenteur étroite de chaque geste, le pullulement des mots qui ne sont que des ordres, c’est la nostalgie d’un oubli qu’il faut taire, car le temps est un crépitement de poudre – copeaux de brûlure chimique sur les peaux – mais le moment vient toujours de laisser là, pour rien, les amertumes idéales, la peau, les os & l’entaille rouge, pour vivre d’éclairs & d’éclaircie, de brumes – l’éveil n’est pas un choix – malgré les cervelles fracassées d’électricité & les dents qui cèdent. Car ces égarements parmi ce qui racle les os ne prouvent rien – chaque chien perçoit les limites de ce qu’il doit défendre – & les maladies ne témoigneront jamais qu’il y a pourtant quelque chose à trouver. Envols nocturnes, chutes, secousses ignorant jusqu’à la possibilité du jour, les lumières rares doivent alors suffire – & se préparer longuement pour le moment sans retour, parmi ce chaos des lenteurs, le hasard des chocs qui dispersent & ramènent aux frémissements impersonnels de la matière : ce qui se convertit sans cesse n’aura jamais de définition. Ici le repos ne peut donc être qu’en avant, les nerfs éclairés comme un sourire sans peau, malgré le cercle des langues d’un vieux feu, la grimace derrière les lambeaux – combustion des signes – la pluie d’épines des légendes sur les os, équivoques & perfides parmi un autre jour pourrissant, malgré les cervelles embrasées par la paille incendiée – tentation ou révolte de la perfection qui ne connaîtra que la défaite – présences de fer – malgré les fenêtres fracassées & les fenêtres insinuant des reflets inquiétants, des vomissures jusqu’aux ciels vides – les figures de boue craquelée sont l’écrin des pupilles agrandies, le lourd sommeil sans songe ne reviendra pas – & malgré ces cliquetis d’épines qui agitent les cellules : est-ce la proximité de cette mâchoire immense qui fait mieux sentir la viande vivante ? De quelle vérité ces dix mille détails fendus pourraient-ils être l’écho ? Qui de la rive ou du fleuve fait l’autre ? La nuit les choses ne nous connaissent pas.

 

         […]

 

Les dérèglements plus ou moins méthodiques sont donc désormais sans issue. Les poisons qui déferlent dans le creux qu’il faut devenir ne permettent pas d’accéder à une réalité supérieure ou cachée – le cosmos est sans double – même s’ils nourrissent le soupçon salutaire : les heures creuses où les épines fourmillent, les yeux liquides – ces poisons sont opportunistes – fêlure tentée méticuleuse de cette béance rude, se glisser dans le glissement d’eau, vers la ville – poitrail ouvert – les minutes pointues où les morts, semble-t-il, ne cessent de mourir, le paquet de viande électrique, les poumons rougis d’eau lourde ! Toutes ces choses renversées dans les ventres ne recouvriront pourtant jamais rien : l’élan brut des humanités est une brutalité automatique.

 

         […]

 

Des circonstances s’enflent, enchevêtrées & inextricables, des voix de grésil y cherchent l’os & le trouvent quelquefois – soulagement de la fin des empires, & de ce qui fut imaginé être un empire dans un empire – les flaques de lumière visqueuse & le crépitement moite, l’ampleur impersonnelle qui est le bord ultime de la mystique – & c’est ici, paraît-il, qu’un autre a flanché, parmi des livres inutilisables & des vérités impraticables, n’ayant presque rien hérité & ne laissant que des dettes – mais la confiance peut être une sévérité gracieuse. Car chaque courtoisie est toujours étonnante, & les climats n’en sont pas absents, & une promesse est tenue – sans profondeur & sans surface, mondes de failles & de rivières, abandons aux sommeils délicats, tâtonnements de proie & l’étonnement d’une compréhension, dans la froideur sans calcul, & cette froideur n’est pas l’intransigeance des automates. Car ce qui est précieux en nous, & rare, ce ne sont pas les crispations lamentables de ce qu’on croît être soi, ces agenouillements de l’égoïsme, ces boursouflures de l’importance personnelle. Aucun monument n’est innocent, & nous avons des facultés pour lesquelles il n’y a plus d’emploi, mais c’est parmi ce continent qu’il faut s’éveiller, sans prétexte & sans égards, c’est ici qu’il faut parcourir la simplicité première, c’est ici qu’il faut savourer le don toujours renouvelé de la présence, l’astre chaud ! & dans les failles des rues – ce lit sec du continent – le bleu fendu fend nos crânes : si l’exactitude est amère elle n’est pas sans beauté.

 

         […]

 

Cependant certains enchantements ne reviendront pas. La bouche fendue par l’oubli, naître proie, vies rétrécies essorées jusqu’à l’énormité dévorante ! Pente délicate & douce, bouillonnement des souffles : ciels mécaniques ! L’eau d’incendie étouffe, le nœud indémêlable, automates aux yeux jaunes, rues, cartes, & qui L’a sentie ne peut se sentir ici qu’en exil, & mener une étrange guerre. Fracture des cervelles électriques démangeaisons, le dénuement organisé, menace crue jetée vie nue, le désir à l’os, géométries de l’effort aligné : la mobilisation qu’il faut totale, & les réputations surfaites de quelques cadavres !

 

[…]

 

Mais l’épiphanie est irréprochable & impunie, malgré les infortunes de l’acquiescement, les yeux de faïence, & le grand corps est plus pénétré de clarté – ardeurs & fatigues, la nuit sans perte – & voici la frugalité du cosmos, voici l’éveil & le partage des forces, la splendeur d’une des plus belles aubes des premiers temps de La Terre : de quoi un monde pourrait-il être l’absence ?

 mis en ligne en juin 2011

 

 

                                                                                                              dessin lrq

R UES

 

nous veillons sur la sécheresse
car l’ancien monde s’en est allé

 

 

            Un homme gras croit assumer quelques perversités qui ne sont pas les siennes. Visiblement son costume coûteux le protège. Les automobiles sont aux aguets. Chaque morale permet toutes les logiques de concurrence, luttes mortes & meneurs, l’inconséquence des artistes & les hommages intéressés. L’ombre boiteuse de la haine, le désarroi des maîtres, une longue attente, défilé des pénitences & des humiliations, l’impuissance des massacres : il faut fuir & sourire. Le soupçon est notre seule confiance. Les conventions ont le poids d’un vêtement, souvenir des ruines, douleur des saccages, de ces gestes que personne ne peut retenir, mais ni l’électricité ni les incendies n’éclairent les nuits. Les sagesses manquent de circonstance. Postures vitrifiées, aigreurs promises, lourdeurs inévitables : ici les élégances ténues n’ont pas l’avantage. Humour des chenils ! Les machines piétinent les limites humaines, les étoiles se déploient & se noient, sans assignation, également indifférentes à nos conquêtes & à nos plénitudes, à nos morts & aux maladies de nos esprits.

 

[…]

 

Les haines communes ne peuvent produire que des tristesses communes. Abstractions concrètes des idéologies, des croyances, ces lueurs dérisoires pour des puérilités abreuvées de craintes : qui les assume produit de tristes effets. Les chiens ne sont-ils jamais fatigués ? L’excès donne le vertige, ses obscurités sont-elles la promesse d’une autre clarté ?

 

[…]

 

Nervosisme irritabilité prescriptions, meurtre sur ordonnance : les mois passent sur ces états péremptoires & d’autres angoisses. Façades de verre, doctrines, la brise printanière de la réforme, & les bibliothèques sont convenues. Politesse de chaque désolation, sirènes incompréhensibles, mécanique des faces, les émeutes lointaines sont romantiques, usure multiple. Casernes, blouses, néons, chaque catastrophe est commentée. Soleils de chimie, chiens de la miséricorde, les sourires de triomphe sont exsangues : chaque choix s’impose.

 

[…]

 

Les modernités trépassent. L’actuel jauge tout, c’est l’antiseptique de la confusion. Douceurs de l’enlisement, les ciels parcourus : il n’y a pas de lointains dans les villes rectilignes. Quelque chose glisse & se faufile le long des nuits, l’étonnement se gorge de terreurs, au fond des chambres emplies de musique amplifiée, lueurs blanches & frissons, profils courbés sous le poids des nuques, & les intensités écarquillées. C’est un miracle troublant, pourtant, une ville qu’un fleuve partage.

 

[…]

 

Pauvretés rutilantes des lieux où il faudrait travailler, relégation jusque dans les maisons, cages ! Seuls quelques incidents rares & étonnants ont la saveur d’un éveil, creuset d’autres lumières futures. Cœur froid, l’esprit brûlant, lambeaux de peau craquelée, les sobriétés d’ici ne sont que des rigueurs maladives. Le sommeil est cassé, nos mondes sont fuyants, quelques miettes de vin sur les lèvres sont le seul programme. La danse ne défait-elle pas les peuples ? Mais les horreurs nous traversent à la lumière des lames, pour la seule évidence d’une mystique singulière : le brouillard électrique qui aiguise. La nuit n’est plus que ce visage piétiné, la métaphysique des litres.

 

[…]

 

S’efforcer de noter des sensations, malgré l’heure des complications, ne plus confondre le noir qui s’étale & le ridicule qui est réel : chacun est pour l’autre une évidence sans perfection. Cette morsure épuise. Le grondement des foules est exclusif, les rues sont insidieuses & sans entailles. Ce printemps est pâle, & les chiens sont obèses.

 

[…]

 

Les rues se vouent à des terreurs nouvelles. La rencontre est manquée. Chaque lieu ici a le goût de ce qu’il faut quitter, d’une concession perpétuelle. Il doit y avoir une méthode de fracturer ces têtes ! Car leurs pitiés ne semblent être que des dispositions hasardeuses, rien n’est vrai que les horreurs premières. Le spectacle est automatique & la nuit n’est pas étoilée. Les idolâtres sont étranges, tout est collant ou trop lisse, impressions osseuses, & malgré les médiocrités elles sont pleines d’une sauvagerie étonnante. Ventres ! Le goût perdu des figures ! Quels gestes pourraient démonter le jour des automates ? L’horreur est urbaine, le vide est un vertige, la méthode double est unique. Le noir arbitre.

 

[…]

 

La broussaille des esprits heurte plusieurs rigidités. Leur simplicité est belle. La chair est bardée du chant, jeunesse & initiation doivent passer, convenir sans plaire. Il y faut le courage commun. Chaque rue produit un vocabulaire, des angles & ses postures d’os, chaque désastre & ses divisions produit un enseignement. Les savoirs inculqués d’autres jeunesses moins sinistrées ne produisent que des certitudes.

 

[…]

 

La maison commune n’est plus rien. Les tranchants de l’individualisme commun sont sans bienveillance. Il n’y a plus vraiment d’ordre, mais des transgressions qui s’acclimatent. Aucun verrou n’est permanent, rien n’est permanent, & d’autres singularités plus farouches sont pour l’instant sans orgueil. Les visions de manganèse ne sont pas la prémisse à ce qui croupit dans les écoles & les musées : le grand oblique de l’abdomen !

 

[…]

 

Le fatras des certitudes ne rend pas l’ennui moins poisseux. Le dégoût est puissant. Leurs cervelles moites ! Les ventres croupis ! Des ombres glissent & elles sont fourbes, les haines ne peuvent être qu’intrusives, promiscuités & tribunaux. La pluie est étouffante. Paix de caserne, partout rôde la grimace qui permet les massacres. Aucun siècle qui puisse apporter une satisfaction. Ces rues grouillantes s’hérissent de crocs, garrottent les corps innocents, paix des révoltes, & la curiosité qui reste est pour le salut : les poisons !

 

[…]

 

Cette conjonction est une chance ambiguë, mais la conversation est presque morte. Les rues sont dures. Joyaux d’asphalte des nuits de verre pilé, métal bouilli, nerfs emportés ! Il n’y a pas d’autre manière de dissoudre les blocs de l’ennui. Paix armée. Béton & ciment sec, brûlure des anecdotes, partout l’accueil est minéral. Partout les hommes vont par deux, mais le fleuve semble ignoré. Les destructions rêvées ne laissent pas de trace ; panneaux gras & itinéraires certifiés, ici l’ornière sèche, ailleurs l’impudence des images. Climats des violences ou des mensonges bien nés, le bonheur marchand : ces rues ne mènent pas plus loin. Les débauches sont désamorcées.

 

[…]

 

Ambiances sans mélange où sont déversées ces évidences : le consensus des égalités décrétées, la sévérité des logiques marchandes, les médiocrités sans pitié, les satisfactions féroces ! Quelle parole pourrait brûler sans se consumer ? Les rues rousses ! Les cerveaux sucrés contre les nuits de givre !

 

[…]

 

Les rues n’ont pas d’orientations hasardeuses. C’est un décor de croûte durcie où les vies s’essorent. Il y a quelques folklores climatisés. Elles ne connaissent rien des fatigues & du repos nécessaire. Aspérités sans effluves, paroles rares & industrielles, & ce qui reste est pour le dressage des yeux. Quelques enfants sont alignés pour on se sait quel départ, mais les allures d’innocence ne reviendront pas. Hygiène policée, dureté sans finesse de néons, abondance de tous les besoins insinués qui ne furent jamais des désirs, chaque automate trouvera ici de quoi tenir son rôle & son rang.

 

[…]

 

Le fleuve ! Quelle est la nuit définitive qui ne laisse rien derrière elle ? Quel est le point où l’on ne revient plus sur ses pas ? Nous sommes l’écume d’une vague très belle, au soleil, sur une plage de novembre. L’équilibre est une entaille. Les époques ne s’éclairent qu’à peine les unes les autres, & les climats sont incomparables. Les étrangetés illégitimes préservent des familiarités exécrables. Il faudrait que certaines fureurs s’éloignent, il faudrait que la banalité soit un refuge, mais cela ne sera pas. La houle des villes que les vents ne marquent pas. Comment vivre ? Comment chevaucher les époques & les désastres, conquérir les rues ? La menace ! Les meutes ! Le vide & ses superbes ! Le frisson de l’intuition ! Mais partout les tribunaux se dressent, la fourberie n’est pas plus verte qu’autre chose. Lui sera toujours un enfant triste, étonné de se voir abandonné après tant de méchancetés si sincères. & la mort nous dépliera vers un envers qui n’est pas & ne nous concerne en rien. Un futur qu’on saccage est encore une certitude, malgré tout, & cette étrangeté illégitime ne peut rien revendiquer. Ce sera toujours l’exil au pays de l’éveil, & le millier d’années des oiseaux.

 

 

 

 

 
veilleur  dessin lrq

 

La part ordinaire

 

on ne peut prendre position pour l’absence
         on ne peut circonscrire le vide
il n’y a pas de fuite visible

 

        La nuit est claire quand la fin est proche. Pour qui semble voué à des troubles toujours nouveaux, un lit de pierre est le seul repos. D’autres amusent leur jeunesse. L’égard ne peut qu’être moindre pour nous qui ne sommes qu’une expression amoureusement façonnée. & cela n’importe pas : il faut se jeter avec courage dans les rangs de l’évolution commune, & sans doute nous taire à notre tour.

 

        […]

 

Le mystère persiste malgré les rues électriques. Sa musique est la source de toute sagesse future ! Des promesses sont tenues ! Mais les discrétions s’imposent d’elles-mêmes, car les foules sont terribles & nous ne savons pas nous faire craindre.

 

        […]

 

        Nos corps sont le creuset & la possibilité de l’agencement d’un faisceau de sentiments. Le silence calme semble être le pas & le sentier. Il n’y a pas d’explication satisfaisante à cet autre état, il faut en faire l’expérience, & en déduire l’enjeu d’une bonne manière de vivre. De proche en proche il faut savourer la présence sans nom & la ferveur sans histoire. Personne n’attend de l’autre côté, car il n’y a pas d’autre côté. Qui savoure les moments donnés, l’éternité, & qui pose ces questions ? Qui contemple la vie nue depuis ce lieu sans nom ? La vie déployée nous rend insaisissables, loin des moyens intolérables & des fins qu’il faudrait approuver : est-ce le commencement d’un nouveau monde ? Les hirondelles se rassemblent, & nous ne pourrons pas les retenir.

 

        […]

 

        Une étrange guerre sévit dans le cœur de nos humanités. Est-ce la crainte de la liberté libre & de la vie nue qui nous livre à ces pentes amères ? Pourquoi ne pas délaisser les poisons pour des routes qui ne soient pas des blessures ? Le vide n’a ni dehors ni dedans, le noir y est chatoyant, & les haines ne réchauffent pas. Les jugements sont d’un monde que nous n’avons pas voulu, l’Histoire est son cauchemar. Cependant l’aspiration à la joie n’est pas la peur de la mort. Suffit-il de se savoir esclaves pour être libres ? Non, & sans doute est-ce pour cela qu’il faut parfois traverser des nuits molles & pluvieuses, pour taquiner des perceptions affranchies. Il n’y a cependant aucune porte à franchir, puisqu’il n’y a pas d’autre côté. Il n’y a pas de prix à payer : des risques, des fatigues, des blessures dont certaines font mal longtemps, mais quelle nuit est anodine ? Les contemplations sont nécessairement innocentes. Quel monde est-ce transformer que de perdre le goût des lamentations ? Il faut se perdre sans ressentiment, car les choses s’entassent, quand on habite un lieu trop longtemps. Feu & lieu, singularités des corps que nous sommes ! Ô mes bêtes, vos beaux aplombs ! La Terre est rouge, & sa courbure amoureuse ! Est-ce l’allure paradoxale d’un dernier geste ? Non ! C’est une tâche dont il n’y a aucune fierté à tirer, ni prérogative. Nous sommes Son étreinte, Son épiphanie ! Ô nos erreurs, nos manquements, nos chutes ! Ô nos faiblesses systématiques ! Les échecs sincères ne valent-ils pas mieux que toutes les gentillesses policières ? Nous ne valons pas mieux que le reste, ni moins, mais qu’avons-nous à voir avec ces peuples dont nous ne partagerons pas les lendemains ? Que sommes-nous, entre l’élan d’une naissance hasardeuse & la mort si sûre, & qui pose cette question ? L’eau est liquide, parmi les étoiles, si rare ; l’éternité n’est pas charitable.

   

 

 

* l'intégrale - à prix libre - largement illustrée de Querencias peut être acquise auprès de querencias@free.fr

   

oOoOoO

 

Association le Rien Quotidien 

le blog est ici

http://lerienquotidien.hautetfort.com/