Murièle Modély

 

 

 

 

poèmes / bio / biblio

 

 

 

 

 
 
poèmes

 

 
Aujourd'hui je descends dans la rue  
 
 
Il faut bien travailler
Le trottoir est mouillé
Et devant mes yeux pris
Il pleut
Le ciel écrit en morse
Le jour faux qui s'amorce
point tiret point tiret
Il faut bien travailler
 
/
 
Je marche à deux à l'heure
Je suis la fille lente
à la langue pointue
Un claquement aigu
qui décrypte l'averse
point tiret
point tiret
Le mot FEINDRE, et après ?
 
 
ill. Bruce Clark
 
Eh ! Je ne suis pas seule
Mais oui ! Regarde
la foule qui déboule
Cette morve qui coule du haut
des escaliers aux portes du métro
point
tiret
point
Le mouvement qui baise
dans sa chute sans fin
 
/
 
Dans la rue, sous la pluie
Il y a ces parapluies
où chacun crée son monde
où chacun fait semblant
Dans la rue, sous la pluie
Il y a les mots qui tombent
L'encre noire du ciel
au sol illisible
tiret
tiret
Il n'y a que le poing
pour déchirer la nuit

 

mis en ligne en mai 2012

 

 

 

Elle a bien répété
 
Elle a bien répété
le rire de gorge
le bout de langue
le regard frais
Elle a bien répété
 
Elle est de passage, assise jambes croisées, dos arqué, sur le canapé. Elle boit une bière.
Elle porte un tee-shirt à paillettes, on voit sa chair. Elle a de gros seins, un piercing, petit strass en forme d’étoile.
J’ai du mal à croire qu’elle a vingt ans : elle en paraît encore seize. A cause sans doute de sa bouche charnue, ourlée comme celle d’un poupon de cellulose.
Je la regarde.
Elle tient son fils sur ses genoux, un gamin de dix mois qui ne lui ressemble pas.
Elle me raconte.
Sa vie. La journée à chercher un boulot, le soir un père pour son gosse. Elle rit, rectifie. Faut pas croire, elle cherche aussi le grand amour... enfin l’amour, car même s’il est petit, elle le prendra. En attendant elle est ouverte à ce qui vient, la maison, la bagnole, le type dedans.
A chaque fin de phrase, elle glousse en haussant les épaules. Un drôle de tic qui lui reste de nos années d’enfance. Lorsque je faisais la maîtresse à la voix docte, lorsqu’elle faisait semblant d’être l’élève. Je m’agaçais, elle poussait des cris de souris, en secouant la tête.
Je la regarde. Il ne m’est pas facile de faire coïncider, la gosse impertinente aux cheveux bouclés avec cette jeune femme.
Je juge, j’ai toujours fait ça. Elle prête le flanc, elle a toujours fait ça.
Elle me raconte la province, les soirées du samedi soir, où une fille comme elle, normalement, n’est jamais invitée. Pas assez classe, pas assez smart. Elle glousse encore. A cause de la bagnole.
Elle est avec des filles brunes ou blondes, ou elle est seule. A la table d’hommes mûrs ou presque. Je fais un geste, elle se redresse. Trente, quarante ans quoi, et je fais pas la pute.
L’enfant glisse entre ses jambes. Il joue avec la capsule de la bouteille qui a roulé sous la table.
Elle cherche juste à vivre des choses intéressantes.
Mieux. Plus.
Une fois, on lui a même présenté un juge. Mais il était vieux, et il sentait mauvais. Elle rigole, un juge de pets.  
 
photo Nan Goldin 1996 Amanda
Dans ce genre de soirées, elle croise surtout des docteurs, des généralistes, ou des fonctionnaires. Elle me rappelle que papa la voyait mariée à un avocat. Elle me fait un clin d’oeil, qui sait tout est encore possible. Faut juste être là, au bon moment, sur le bon tabouret, dans le bon club. Elle explique. Elle a bien répété. Le rire, la danse, l’écoute. Important l’écoute, quand on n’a rien a dire.
Quand elle ne sait pas, elle rit. Ou elle boit. Faire sonner le cristal, c’est ça qui compte. Les pampilles dans la gorge, ou le verre. Faut que ça vibre.
Elle rit, me presse la main, me remercie de garder son gamin. Je sens son odeur de petit lait mélangé à du fauve. Elle sait que ce soir, ici, quelque chose va arriver. Elle n’a pas peur. Ses joues sont rouges. Je regarde son plaisir ruisseler par vagues dans mon appartement, sur mon canapé, sur mon peignoir usé et l’incompréhensible envie.
elle a bien répété
le rire de gorge
les dents de perles
la langue coquine
le gloss 
le fond de teint
l’oeil mutin
elle a bien répété
 
elle sera seule
ils seront cinq
ou vingt
les babines
luisantes
les membres
puissants
 
ils seront cinq ou vingt
au dîner de
con
 
ils arracheront sa robe
ils lacèreront sa peau
ils déchireront ses seins
ils mâcheront ses reins
ils creuseront sa moelle
 
au bout de la nuit
sur le tapis
un minuscule tas
d’os
 
ils en mettront deux
à tinter dans un verre pour boire leur cointreau  
 
 
 
 
mis en ligne en mars 2012

 

 

 

 

 

 

 

Sur la place

  ill. X

En passant au milieu
de la place tu vois
la manifestation

le groupe est
clairsemé
il fait chaud
il fait beau

et si tu
n'avais
pas
toutes
ces
choses
à faire
régler
secouer
du bout
des pieds

sûr que tu
serais toi
aussi au
milieu
de la place

à bronzer
protester
contester
pour la forme

si tu
n'étais pas
si seul
occupé
fatigué

(tu rayes
dans ta tête
les mentions
inutiles)



tu traces
vite
        vite

du coup

tu ne vois pas
la blonde
        blonde

ministre
comédienne
jet-setteuse
mannequin
ou chanteuse

qui dilate
son capital
sympathie
la langue
en mouvement
sur croupes

tu
ignores la raison
de cet attroupement
et d'ailleurs tu t'en fous
chaque jour sur la place
on s'arrête et on feule

toi tu bouges
pour éviter
que la pluie
ne te fende

alors
la cause
la blonde
son cul
la baise
le fric
la merde
qui tombent dru
tu t'en fous

tu passes

*

tu ricanes
tu ne comprends rien à
rien
tu hurles avec les chiens
tu dis blanc tu dis noir
tu branles de la tête

tu regardes le monde
se faire et se défaire
au rythme d'une  main
qui paluche son sguègue

et après qu'il ait joui ?

*

tu fumes une cigarette
allongé sur le lit

Alors heureux ?

 

 

mise en ligne septembre 2011

oOoOo

 

 

Sur la route


ça bruisse ça vocifère
ça freine ça accélère
je marche
 
ça viole ça énuclée
ça gifle ça éviscère
je borne
 
regard ici
regard par là
à droite à gauche
fatras vacarme
ça plombe
 
tant pis
je fends
 
la mer
 

*

ill.X

ce ne sont pas des acouphènes
non, c'est juste la marée
 
les vagues qui clapotent
en cadence dans mon crâne
 
tu causes tu causes
le monde va mal
les tâches concassent
les rêves obèrent
l'amer l'amer
 
mais les galets tapent
dur contre mes os
je deviens sourde
 
ça craque
dedans
dehors
 
sous l'eau
 

*

 
puis soudain
refaisant
surface
mon oeil
s'accroche
aux corps
qui flottent
 
une noire altière
beauté ébène
en robe wax
 
une fillette maigre
mains plaquées sur
un rire flou
 
une femme voilée
aux yeux bleus nuit
qui me sourit
 

*
 

à gauche à droite
mon corps en vrac
 
lente dérive
brûlante fièvre
 
tremblement d'eau
dans les égouts
 
tourbillon bref
peau contre peau

 

mise en ligne septembre 2011

oOoOo

 

 

bio/biblio

 

Née en 1971 à Saint Denis, île de la Réunion .
A Toulouse depuis un certain nombre d'années, y travaille en bibliothèque jeunesse.
Lit des trucs pour enfants, écrit des trucs pour les grands, d'abord en dilettante, puis en continu. A cause/grâce (?) à son blog, L'oeil bande... (avant le sexe et blablabla, relire Nougé, et aussi Emmanuel Laugier -voilà pour le nom du blog).
Propose ses écrits à différentes revues et sites, Microbe, Traction Brabant, Ecrits Vains, FPDV, L'autobus.
Se prend aussi pour quelqu'un d'autre sur les planches (théâtre en amateur).
S'investit parfois dans des projets fous bibliothéconomiques (communication pour la bibliothèque de Toulouse par exemple -voilà pour la photo).
Manque de constance, mais s'échine à écrire, essentiellement de la poésie.

 

oOoOo