Taro Aizu

 

 

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Requiem pour un laitier de Fukushima

 

J’ai parlé de la contamination radioactive à Fukushima avec mon frère. Ce qu’il m’a dit sur un laitier fut un grand choc pour moi.  J’ai voulu en savoir plus sur cet homme en lisant beaucoup d’articles dans les magazines et les journaux. Voici ce que je peux vous en dire :

Un laitier âgé de 54 ans habitait paisiblement dans un petit village près de la centrale nucléaire de Fukushima avec sa femme philippine et ses deux fils. La famille vivait heureuse, ils possédaient une quarantaine de vaches et travaillaient chaque jour ensemble. Ils firent construire un nouveau bâtiment pour gagner plus d’argent, parce que leurs fils étaient très jeunes.
Un cartable neuf avait été préparé pour la cérémonie d’entrée à l’école primaire de l’aîné qui se déroule en avril lorsque les cerisiers en fleurs s’épanouissent autour de la cour d’école.  
Mais il y eut une explosion à la
centrale nucléaire de Fukushima, suite au grand tsunami qui a frappé la région le 11 mars 2011. Le vent a dispersé le césium  de la centrale par dessus champs, montagnes et maisons de son village. Le  césium s’est insinué partout. Sans que cela ne se voit, ne se sente ou ne s’entende. Il a souillé l’herbe de tous les pâturages du village
Le lait de ses vaches fut donc contaminé par le césium, car elles se nourrissaient de l’herbe qu’il fauchait chaque matin. Chaque jour il dut jeter ce lait pollué par le césium. 
Alors sa femme a fui le village pour les Philippines avec leurs deux fils en avril avant la cérémonie d’entrée à l’école primaire. Ils étaient inquiets pour la santé de leurs enfants.
Il est resté tout seul à Fukushima et a continué à travailler avec ardeur pendant quelques temps. Mais le niveau de césium restait très élevé…
Alors,  il a renoncé à traire ses vaches et il a rejoint sa femme et ses fils aux Philippines. C’était à la fin d’avril. Là-bas, il ne comprenait ni l’anglais ni le tagalog et ne put trouver de travail. Il est donc revenu au Japon, seul, en mai. Il n’y avait plus aucune vache et sa famille avait quitté le village. Il était  tel un cerisier déraciné.
C’était au début de juin 
  
Le laitier
a laissé ce message 
sur la planche d’un mur       
«  Si la centrale n’avait pas explosé,
je ne me serais pas suicidé. »       

 

 

 
le "Takizakura"                                                                                                                                      photo Taro Aizu

mis en ligne mai 2012

 

 
Fukushima Renaissance
 
 
 
Dans ce premier texte, l'auteur propose une alternance de prose et de gogyohshi.
(五行詩- poèmes de cinq lignes )   
 
 
Chaque été la plupart des japonais reviennent dans leur ville natale pour se recueillir sur les tombes de leurs ancêtres. Ce rituel bouddhiste est appelé «  Obon »  (お盆) »   en japonais). Fidèle à cette tradition, je suis retourné l’été dernier dans ma ville natale, Fukushima, afin de prier pour mes défunts parents. Mais cette fois, nous étions en 2011, j’ai hésité du fait de la contamination occasionnée par la fuite de la centrale nucléaire de Fukushima.
Ma ville est devenue très dangereuse depuis le 11 mars. Le vent a dispersé le césium de la centrale dans tout Fukushima.
On dit que le césium sera cause de futurs cancers chez les enfants et les bébés. Après une incertitude de quelques jours, j’ai décidé d’y aller malgré tout, car je crois être trop vieux pour contracter un cancer dû à la radioactivité.
 
En août, je suis donc allé là-bas, en bus.
Quand j’en suis descendu, les champs de Fukushima s’étendaient à perte de vue.
 
Je ne puis croire
qu’ils soient contaminés
ces champs
verdoyants, verdoyants
et si brillants.
 
J’ai été hébergé chez mon frère. Dès le lendemain de mon arrivée, j’ai fait une promenade avec mes neveux. L’un d’eux a dit, « Oh, j’ai oublié d’apporter mon dosimètre! » Il est vite retourné le chercher. Les enfants à Fukushima accrochent toujours leurs dosimètres autour de leur cou quand ils sortent, afin que leurs instituteurs puissent vérifier leurs taux de radiation.
Nous nous sommes promenés dans le parc près de la rivière.
 
Les enfants accrochent
des dosimètres autour de leur cou
même quand ils jouent
à chat avec moi
dans le parc vert.
 
Il n’y avait aucun autre enfant jouant dans le parc. Peut-être jouaient-ils aux jeux électroniques ou regardaient-ils la télé chez eux afin d’éviter le vent de césium.
Leurs enseignants leur avaient dit de jouer chez eux aussi longtemps que possible.
Beaucoup de résidents habitant près de la centrale se sont enfuis après les fuites radioactives. 
Les parents, avec leurs jeunes enfants ou bébés, ont cherché refuge loin de là. Seules les personnes âgés sont restées.

Bien que les habitants
veuillent s’enfuir,
ils n’ont nulle part où aller,
ni travail, ni maison
ailleurs qu’à Fukushima.
 
 
 
En particulier les vieux fermiers près de la centrale, riches ou non, ne voulaient pas chercher refuge ailleurs.
 
Bien que les officiels disent
« Fuyez votre village! »
les vieux fermiers refusent
car ils veulent rester
dans leur ville natale.
 
Ils ne souhaitent ni apprendre un nouveau dialecte, ni de nouvelles coutumes, ni laisser leurs voisins et amis. Ils veulent juste rester là, dans leur ville natale pour vivre tranquillement leurs dernières années.
 
Un après-midi, tout à coup, il a commencé de pleuvoir. Sous la pluie, notre chat s’est précipité vers la maison de mon frère et s’est assis sous l’auvent.
 
Notre chat
ignorant,
qu’il lèche
la pluie de césium
de son pelage mouillé.
 
Fukushima était célèbre pour ses fruits : les pommes, les poires et les pêches.
La femme de mon frère m’a épluché une pêche.
 
Je viens de manger
une pêche rosée.
Bien que délicieuse,
une trace de césium
est entrée dans mon corps.
 
Mais 
 
je ne peux ni voir, 
ni entendre, 
ni sentir le césium.
C’est l'invisible
ennemi
 
Je suis allé aussi dans un célèbre site touristique avec la famille de mon frère. 
Mais il y avait peu de visiteurs par peur du césium alors qu‘il était bondé d’enfants dans le passé pendant les vacances d’été.
 
Rentre,
reviens,
ancienne Fukushima
où les enfants jouaient dehors
avec leurs parents heureusement.
 
Après quelques temps, beaucoup de parents et de fonctionnaires ont entrepris de nettoyer le césium de la terre des crèches, écoles et lycées de Fukushima.
Les habitants balayaient leurs maisons, leurs jardins, même les routes.
Les fermiers ont continué de dégager leurs champs, les forêts et les montagnes pendant plusieurs mois. 
La plupart des habitants persévèrent dans le nettoyage de Fukushima.
 
La terre et le vent,
les poires et les pêches,
les chats et les humains,
que tous les êtres
renaissent à Fukushima.
 
Chaque printemps je vais à Miharu, près de la centrale, pour contempler les belles fleurs de cerisier. L’arbre le plus célèbre de la région est vieux de près de dix siècles. Il est majestueux et ses fleurs s’étalent sur le bleu du ciel. 
Les habitants d’ici l’appellent «  Takizakura » pour « taki » :  « cascade » et « zakura » : « fleurs de cerisier ». 
Ses fleurs composent une cascade rosée semblant couler du ciel d'azur.  
Au printemps prochain, je me rendrai à Miharu puiser l’énergie de ces fleurs de cerisier.
 
Nous chanterons une chanson
et danserons encore
autour des fleurs du grand cerisier
dans notre ville natale... 
Fukushima  

 

 

 

le "Takizakura"                                                                                                                                photo Taro Aizu

 

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Bio-Bibliographie

 

Je suis né à Fukushima au Japon en 1954. 
J'ai étudié le français pendant 4 ans, quand j'étais à l'université il y a trente ans. 
J'écris des poèmes gogyohshi (五行詩 - poèmes de cinq lignes ) en japonais depuis 10 ans et en anglais et français depuis 2 ans.
J'ai publié en 2011 trois recueils de poèmes, respectivement en japonais, anglais et français.
Le titre est  いとしい地球よ  /  The Lovely Earth /  La Terre Précieuse.
J'ai remporté deux prix de haiku"全国現代俳句大会” et un prix spécial du poème en Japon

 

 

http://blogs.yahoo.co.jp/lovelyearth_mont

en français

http://blogs.yahoo.co.jp/lovelyearth_mont/folder/165372.html

et aussi

http://www.poetspages.com/taro-aizu